Blogue 18 novembre 2020 Nicolas Biron
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L’art de se remettre en question : introduction aux stratégies et leviers de l’économie circulaire

Nicolas Biron

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Nicolas Biron

Extraire. Transformer. Distribuer. Consommer. Jeter.

Le système économique actuel, classique, est un système dit linéaire. Il encourage la surconsommation des ressources en amont (surtout non renouvelables) et le gaspillage, la pollution et les déchets en bout de chaîne.

Autrement dit, un modèle économique basé sur l’ajout de valeur monétaire tout au long des étapes de fabrication d’un produit, qui sera ensuite consommé, jeté, détruit, avec une valeur ramenée près du 0 absolu.

Par exemple, la mode éphémère, ou collection éclair (fast fashion), modèle de l’industrie vestimentaire basé sur l’achat et le renouvellement rapide des vêtements – jusqu’à plusieurs fois par mois – est une ligne directe allant de l’extraction des ressources (coton ou autre) jusqu’aux déchets, en un temps record. Toute forme d’obsolescence programmée, qui consiste à concevoir intentionnellement un produit pour qu’il soit utilisé le moins longtemps possible avant d’être jeté et remplacé, est aussi un non-sens sur le plan environnemental. L’économie linéaire est notamment à la base d’une croissance massive et exponentielle des déchets plastiques, qui sont, au final, très peu recyclés à l’échelle internationale.

Cependant, la conception du système linéaire est fondamentalement biaisée, erronée. Le système lui-même est sous une pression croissante, menaçant sa viabilité à long terme.

C’est, finalement, « un système à sens unique qui détruit le paysage dont il dépend. […] Dans son essence, c’est un système dégénératif, dévorant les sources de sa subsistance. » (Regenerative Design for Sustainable Development, 1994)

Ce modèle économique linéaire n’est tout simplement pas durable.

Il est temps de passer à un modèle d’économie circulaire où les matières premières et l’énergie sont issues de sources renouvelables et où les déchets sont réutilisés comme matières premières. Passer d’une approche « chaînes de valeurs », à une approche « boucles de valeurs ». Actuellement, selon le rapport Circularity Gap, nous avions en 2020 un taux de circularité de 8.6% à l’échelle mondiale. Nous avons de la marge.

Selon ONU-Environnement, 3 principes clés se trouvent au centre du concept de l’économie circulaire :

  • Régénérer les écosystèmes : l’économie circulaire va au-delà du recyclage et de la réduction des impacts environnementaux, il faut aussi corriger les erreurs du passé.
  • Éliminer les déchets et la pollution : dans une économie linéaire, les déchets ne sont pas un accident. Ils ont été réfléchis lors de la phase de conception du produit. On peut concevoir autrement.
  • Accroître la durée de vie des produits et matériaux : passer d’une notion de « consommateur » à une notion « d’utilisateurs ».

L’économie circulaire promet des bénéfices pour les personnes (emplois locaux, meilleure santé, fin de l’obsolescence programmée, etc.), pour l’environnement (réduction des GES, préservation des services écosystémiques, réduction de la pollution, etc.), pour l’économie (croissance économique, réduction des coûts des matériaux, compétitivité, innovation, etc.), ainsi que pour le secteur privé (réduction des coûts de production, amélioration de la fidélité des clients, stabilisation des approvisionnements, etc.).

L’application des principes de l’économie circulaire passe notamment par un certain nombre de stratégies pour:

  • Réduire la consommation de ressources et préserver les écosystèmes :
    • Écoconception
    • Consommation et approvisionnements responsables
    • Optimisation des opérations
  • Utiliser les produits plus fréquemment :
    • Économie collaborative
    • Location court terme
  • Prolonger la durée de vie des produits et des composants
    • Entretien et réparation
    • Don et revente
    • Reconditionnement
    • Économie de fonctionnalité
  • Pour donner une nouvelle vie aux ressources
    • Écologie industrielle
    • Recyclage et compostage
    • Valorisation
    • Etc.

Enfin, les décideurs publics disposent de certains leviers pour accroître la circularité des produits, tel que la réglementation, la fiscalité, ou des appuis directs. À l’inverse, des freins économiques, technologiques, sociaux, ou un manque de connaissances, restreignent l’application des stratégies d’économie circulaire.

Cette transformation de notre système économique actuel, de nos modes de production et de consommation, soulève plusieurs questions et enjeux, en particulier pour les pays en développement.

Par exemple, dans une économie circulaire, les produits, matériaux, ressources, sont réutilisés, en boucle. Or, l’économie est mondialisée : les produits peuvent être fabriqués avec des composantes qui viennent des 4 coins du globe, et expédiés aux 4 coins du globe! L’économie circulaire se pratique-t-elle uniquement dans un espace géographique restreint?

De même, avec le concept de responsabilité élargie des producteurs et/ou d’économie de fonctionnalité, doit-on renvoyer un produit en fin de vie à son fabriquant, même si celui-ci est dans un autre pays? Ou est-il mieux de recycler et de réutiliser les matériaux sur place?

Que cela signifie-t-il pour les pays en développement? L’économie circulaire peut-elle favoriser la production et le développement de boucles de valeurs locales? L’économie circulaire est-il synonyme de création d’emplois pour les jeunes?

Ou, au contraire, quand on sait que l’économie de plusieurs pays africains, par exemple, repose sur l’exportation de matières premières, doit-on s’inquiéter d’un modèle économique qui réduit les besoins en ressources naturelles? L’économie circulaire sera-t-elle profitable seulement aux entreprises pouvant déployer les meilleures technologies d’efficacité énergétique et d’efficience des ressources?

L’économie circulaire n’est pas automatiquement équitable. Comment y intégrer d’autres facteurs, tels que l’éthique, le social.

Le respect des normes est-il incontournable pour accroître la circularité des produits, pour prolonger leur durée de vie , ou pour faciliter leur réparation? Comment l’économie circulaire, et la réglementation à venir, feront-elles évoluer les normes de fabrication? Les normes internationales sont-elles obligatoires pour éviter l’obsolescence programmée? Ces questions sont-elles traitées par l’ISO? Les pays en développement participent-ils activement à ces discussions?

L’économie circulaire signifiera-t-il que les produits seront plus chers, car mieux fabriqués, plus durables et de plus grande qualité? Quels impacts sociaux sur les ménages à faible pouvoir d’achats?

Quels sont les enjeux environnementaux, sociaux, économiques de pays francophones en développement? Est-ce que l’économie circulaire peut contribuer à y répondre? Les bénéfices de l’économie circulaire (emplois locaux, meilleure santé, protection de la biodiversité, etc.) seront-ils équitablement répartis?

Quelles sont les filières qui ont le plus grand potentiel d’être favorisées par l’économie circulaire. Par exemple, selon les Nations Unies, l’application de stratégies circulaires aux bâtiments résidentiels pourrait réduire les émissions de gaz à effet de serre du cycle des matériaux des maisons de 80 à 100% dans les pays du G7 et en Chine, et de 50 à 70% en Inde d’ici 2050. Les stratégies clés comprennent une utilisation plus intensive des maisons, la conception de bâtiments utilisant moins de matériaux et la priorité accordée aux bois récoltés de manière durable, ainsi que l’amélioration du recyclage des matériaux de construction.

L’économie circulaire pourrait-elle, par exemple, favoriser le développement d’une filière gestion durable des forêts/utilisation du matériau bois dans le bâtiment, y compris dans les pays forestiers d’Afrique?

De même, la moitié des émissions de GES dans le monde seraient associées aux systèmes de production d’aliments et de matériaux. En effet, notre système économique extractif linéaire apparaît comme un moteur majeur des changements climatiques. L’économie circulaire serait-elle la principale mesure d’atténuation des changements climatiques? Pour les pays en développement, adopter un modèle d’économie circulaire est-il LA façon de ne pas contribuer aux changements climatiques, de ne pas répéter les erreurs du passé?

L’économie circulaire, c’est aussi et surtout une refonte, une remise en question des modèles d’affaires actuels. Que cela signifie-t-il pour les petites et moyennes entreprises? Comment les accompagner dans cette transformation, alors qu’elles sont déjà en concurrence avec d’autres grandes entreprises aux moyens biens supérieurs? Les petites et moyennes entreprises des pays en développement doivent-elles voir dans l’économie circulaire une contrainte, ou une menace?

Malheureusement, si l’économie circulaire peut être un moyen efficace d’atteindre la durabilité, elle a également le potentiel de générer des résultats encore pires, si on ne mesure pas bien ses impacts.

Premièrement, les résultats d’une analyse de cycle de vie ne vont pas toujours favoriser la circularité. Par exemple, s’il faut renvoyer un produit à l’étranger pour qu’ils soit réparé et remis à neuf, peut-être est-il préférable de le recycler ou le valoriser énergétiquement sur place.

Deuxièmement, les effets rebonds. L’augmentation de l’efficacité due à la circularité réduit souvent les coûts des produits ou des services, ce qui peut à son tour augmenter la consommation (en raison de prix réduits) du même produit ou d’autres produits et services, annulant ainsi en partie les économies initiales. C’est ce qu’on appelle les effets rebonds. Comment les anticiper? Comment les éviter?

Il est donc absolument essentiel de bien mesurer l’économie circulaire, avec des indicateurs appropriés. Quels indicateurs? Comment? En avons-nous la capacité?

Etc. Etc. Etc.

L’économie circulaire, c’est l’art de se remettre en question. Nous avons besoin d’un changement systémique profond, y compris des changements ambitieux et radicaux de la part des entreprises, des consommateurs, des politiques publiques. Accroître l’efficience et réduire la consommation des ressources, dans un modèle économique qui resterait axé sur l’augmentation de la consommation et la maximisation des profits, seraient insuffisant.

En Afrique en particulier, « avec une population africaine estimée à 2,8 milliards d’habitants en 2060, l’adoption de pratiques de consommation et de production viables à long terme est impérative » (AMCEN, 2019). L’économie verte, pour les entreprises africaines, c’est aussi une question d’accroître la compétitivité et de moderniser l’industrie. Car l’économie circulaire restera concurrentielle et mondialisée.

Les pays francophones en développement n’ont pas le luxe d’être mis à l’écart de la nouvelle économie. Il est fondamental de mieux en comprendre les enjeux.

Ce ne sont là que quelques questionnements, pistes de réflexions, qu’il faut invariablement se poser pour comprendre les enjeux de la transition de l’économie linéaire vers l’économie circulaire. Ces réflexions doivent également aider les pays francophones à participer aux travaux du comité technique ISO/TC323, qui porte sur l’économie circulaire. Des normes internationales sont aujourd’hui en train d’être rédigées sur ces questions : il est primordial que ces normes prennent en compte les enjeux des pays en développement.

Ce sont ces questions que l’Organisation internationale de la Francophonie souhaite poser à travers la série de Séminaires en ligne sur l’économie verte et circulaire. Le prochain séminaire portera sur une Introduction aux stratégies et leviers de l’économie circulaire.

Mercredi 25 novembre 2020. 14h GMT/TU

INSCRIPTION ICI

L’IFDD et ses partenaires sont également en passe de lancer un sondage en ligne sur les enjeux de l’économie circulaire pour les pays francophones en développement.

Lien bientôt disponible sur le site de l’IFDD.

C’est aussi ça, le rôle de la Francophonie : vulgariser et débattre des enjeux et sujets émergents, tel que l’économie circulaire, pour une meilleure compréhension et une meilleure prise en compte dans les politiques publiques.

Pour en savoir plus:

*Le nombre de sites de référence en langue anglaise illustre l’importance pour la Francophonie de traiter de ces enjeux…

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